Titre Original : Almuric
Collection : Fantastique - SF - Aventure n° 174
Date de Parution : Juin 1986
Traducteur : François Truchaud
Nombre de pages : 152
Couverture : Jean-Michel Nicollet
Sommaire du livre :
Je suis un étranger ici-bas, Introduction par François TRUCHAUD
Préface du livre :
Je suis un étranger ici-bas
« Adieu, soleil ! s’écria le capitaine Nemo.
Disparais, astre radieux ! »
28 juin 1986.
« Il me suffit de vivre intensément (…) Je vis, je brûle de l’ardeur de vivre, j’aime, je tue et je suis satisfait », déclarait Conan à Bêlit, la reine de la Côte Noire (in Conan le Cimmérien) en précisant : « je laisse aux érudits, prêtres et philosophes le soin de méditer sur les questions de la réalité et de l’illusion ». Cette philosophie existentielle, tous les personnages de Howard la partagent, et Esau Cairn, devenu « Main de Fer » sur Almuric, ne fait pas exception à la règle. Bien plus, il la proclame à maintes reprises, la crie avec rage et défi, porte-parole privilégié de Howard qui contemple le monde une dernière fois avant de le quitter définitivement.
Almuric est l’un des trois romans écrits par Howard, avec Conan le Conquérant et Shalizahr la Mystérieuse (in El Borak le Magnifique), si l’on excepte son roman autobiographique de 54 000 mots, Post Oaks and Sand Roughs, toujours inédit aux Etats-Unis. Il fut écrit en 1936, à la même époque que la nouvelle Nekht Semerkeht (in Le chien de la mort) et, de la même façon exemplaire, nous révèle les préoccupations de « Two-Gun Bob » durant les derniers mois de sa vie. Ce roman fut retrouvé parmi les papiers de REH, après sa mort, sous la forme d’un premier jet complet et d’une seconde version remaniée mais inachevée. Il fut publié dans Weird Tales en serial, dans les numéros de mai, juin-juillet et août 1939. Tout donne lieu de croire que les dernière lignes, le « happy-end », furent ajoutées ou récrites, par Otis Kline, l’agent littéraire de Howard, ou par Farnsworth Wright, le rédacteur en chef de Weird Tales, comme nous le verrons.
Avec ce 25e REHi chez NéO, c’est le retour en force de l’heroic fantasy, mais aussi une étonnante profession de foi et un véritable testament littéraire. Howard s’inspire directement du John Carter de Burroughs et de ses aventures sur la planète Mars, mais fait œuvre originale, comme à on habitude. Notons qu’Andre Norton lut très certainement Almuric et qu’elle fut favorablement impressionnée, puisque le début de son cycle Witchworld est quasiment identique et reflète le même état d’esprit. Précisons enfin que nous devons la carte d’Almuric à Javier Martin Lalanda, correspondant ibérique (habitant la ville de Zamora !) et grand admirateur du Texan. Qu’il en soit ici remercié !
Howard de n’embarrasse pas d’explication scientifique : la science-fiction ne l’a jamais intéressé (il a écrit une seule nouvelle, inachevée, appartenant à ce genre : The Last White Man ou « Le dernier homme sur Terre ») et la science cède tout de suite la place à la fiction et à l’aventure. L’avant-propos du roman, écrit par le professeur Hildebrand (dans la tradition de Burroughs) fait simplement mention du « Grand Secret » et de la machine permettant de transporter Esau Cairn sur Almuric, et n’explique pas comment le professeur réussit par la suite à communiquer avec lui. Howard va tout de suite à l’essentiel et nous présente un magnifique portrait en pied d’Esau Cairn – en fait un autoportrait – « né en dehors de son temps » et à la recherche d’un monde idéal.
« Désorienté, inassouvi, il a parcourut le monde, en quête d’un exutoire pour la vitalité immense qui bouillonnait en lui, cherchant vainement une forme de vie assez sauvage et rude pour satisfaire ses désirs fiévreux, hérités des jours rouges et brumeux de la jeunesse du monde », est-il écrit à la page 13. On ne saurait être plus clair ! C’est bien de Howard lui-même qu’il s’agit, et non d’Esau Cairn, insatisfait et crient une dernière fois sa révolte, à la recherche d’un absolu inaccessible. Et lorsque Cairn tue « Boss Blaine », Howard tue – symboliquement – Cross Plains (le village ou il a toujours vécu, c’est-à-dire le monde et la réalité) la ressemblance phonétique entre ces deux noms est frappante ! Dés lors, échappant à ses contradictions, à cette vie qui fut « une succession de répressions », Howard – par l’intermédiaire de Cairn – quitte ce monde et trouve enfin un monde idéal, à la mesure, ou plutôt à la démesure de ses instincts : pour lui c’est le monde du rêve, par-delà la mort, et pour Cairn, c’est Almuric, le monde de l’affrontement physique où il peut vivre « pleinement » et intensément.
Esau Carin est le condensé de tous les personnages de Howard : Conan, Kull, Solomon Kane (là aussi la ressemblance phonétique est évidente : Kane et Cairn/Caïn) et tous ces boxeurs aux poings d’acier, plus grand que nature et débordant d’énergie physique. Jamais Howard n’a autant insisté sur la force physique et les muscles de son personnage, d’une façon obsessionnelle, frisant la mégalomanie et la schizophrénie. Ainsi il dit qu’Esau Cairn était « l’homme le mieux bâti de la Terre » et « le plus fort ». Howard se dévoile encore plus en traitant Cairn de personne « déplacée », incapable de s’adapter au monde moderne de la machine, et de « phénomène », c’est-à-dire de « monstre » !
En fait, tout se passe comme si Howard effectuait par le biais de ce roman un ultime retour en arrière sur lui-même et sur son œuvre : outre le portrait psychologique exemplaire, de nombreux passages d’Almuric sont « calqués » sur des passages, phrases ou situations, de nouvelles écrites antérieurement : la scène où Carin oblige un Yaga à le porter sur son dos et à voler est pratiquement identique à une scène de l’aventure de Solomon Kane, Des ailes dans la nuit ; Cairn parle du dieu Thak dans les même termes que Conan parlant du dieu Crom ; la vie des Guras est la même que les Vikings de Cormac Mac Art, etc. Bien plus que les « cannibalisations » de ses précédentes nouvelles, il s’agit d’un résumé de son œuvre ou d’un survol de sa création passée. Et, tout naturellement, Almuric est un monde sauvage et barbare, le monde idéal pour Howard.
A la célèbre phrase : « La barbarie est l’état naturel de l’espèce humaine. La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte d’une fantaisie de la Vie. Et la barbarie finit toujours par triompher ! » répond, page 30, la phrase : « La vie naturelle de l’humanité est une lutte farouche pour l’existence contre les forces de la nature, et toute autre forme de vie est artificielle et dépourvue de toute véritable signification ».
Ainsi, la boucle est bouclée et ce roman est le testament littéraire de Howard avant son suicide, son ultime profession de foi en un retour à vie sauvage, purement physique, débarrassée de tout intellectualisme (qui le ronge intérieurement, le menaçant de folie). Et Esau Cairn peut déclarer : « Je vibrais, brûlais et rayonnais de vie (…) empli du flot dynamique de la vie qui chantait, battait et bourdonnait ». Dans une lettre, REH s’écriait avec dédain : « Au diable les psychologues et psychiatres sophistiqués, et tous les autres monstres engendrés par notre civilisation pourrissante ! »
Dès lors, Esau Cairn peut se lancer pleinement dans l’aventure et effectuer son voyage initiatique sur la planète Almuric, passant de la sauvagerie à la barbarie. A noter une autre idée chère à Howard, concernant les lois de l’évolution : les Guras ne progressent pas et ne régressent pas (tels les Picts), ils ont trouvé leur état idéal et leur « barbarie exubérante les fait ressembler à un peuple jeune et récemment apparu ».
Un autre passage nous rappelle que ce roman fut écrit en 1936 : lorsque Esau Cairn demande à Altha pourquoi elle s’est enfuie devant l’oiseau-tonnerre, alors qu’elle désire mourir, elle rétorque : « L’instinct de conservation est difficile à vaincre. » Altha a les mêmes préoccupations que Hernando de Guzman dans Nekht Semerkeht, se livrant à un débat philosophique sur la vie, le désir de vivre et la négation de la vie. Elle nous apparaît comme le double inversé de Howard songeant au suicide et torturé intérieurement. Ces tourments intérieurs s’expriment-ils, symboliquement, par la lettre Y dans ce roman ? Tout le laisse penser, puisque « les Yagas vivent dans la sinistre cité de Yugga, sur le rocher Yuthla, au bord de la rivière Yogh, dans la pays de Yagg ». Cette répétition de Y, telle une incantation lancinante, ne semble pas fortuite. Sans oublier la reine Yasmeena… « Yumping Yimini ! » comme s’exclama un critique américain. D’autant plus que les Yagas sont ses êtres lubriques et sadiques, torturant leurs esclaves et assouvissant leurs désirs sexuels sans la moindre retenue. Et Yasmeena déclare explicitement qu’elle veut qu’Esau Cairn lui fasse l’amour ! Est-ce l’aveu d’une sexualité insatisfaite, de la part de Howard ? Mais assez de psychanalyse hasardeuse !
Notons que le style de ce roman est inhabituel : des phrases plutôt courtes, peu de dialogues, de longues scènes descriptives (les coutumes, le mode de vie des Guras et des Yagas) alternant avec des scènes d’action auxquelles nous sommes plus habitués chez Howard. De la même façon, des scènes de bataille coutumière alternent avec des scènes traitées différemment, comme si Howard effectuait, une ultime fois, de nouvelles recherches. Ainsi la très belle idée des Etres Aveugles, aux pages 87 et 88. Et le paysage fantastique, après la tempête, « comme rêvé par un fumeur d’opium ».
Pour terminer, soulignons que les dernières lignes du roman s’inscrivent en faux contre tout ce qui a été dit précédemment par Esau Cairn – celui-ci veut faire bénéficier Almuric de la civilisation de la Terre, civilisation qu’il a rejetée au profit de la barbarie ! – et qu’elles ne sont certainement pas de la plume (ou de la machine à écrire) de Howard, et rappelons la bande dessinée de Roy Thomas et Tim Conrad, une intéressante adaptation parue en France dans la revue Epic.
A présent, au lecteur de découvrir les aventures d’Esau Cairn sur Almuric… un monde inconnu, différent et étrange !
François Truchaud,
Ville-d’Avray,
15 juin 1986
Dos du livre :
« Soudain un battement d'ailes retentit dans les airs. Je me tournai et vis que le ciel au-dessus de moi était rempli de formes sombres. Les Yagas ! Les hommes ailés d'Almuric !
« Un instant plus tard, ils tournoyaient autour de moi. Leurs lames incurvées ressemblaient à des éclairs scintillants. Je les repoussai avec le canon de ma carabine. Altha poussa un cri éperdu. Toute la bande prit son essor et se dirigea rapidement vers le sud. Je me figeai sur place. Ces démons avaient enlevé Altha ! A présent ils l'emportaient vers la sombre citadelle de Yugga... »
Découvrez les aventures d'Esau Cairn sur Almuric, une planète étrange et sauvage, où il aura bien des ennemis à affronter bêtes féroces, tribus barbares des Guras, créatures des ténèbres et Yasmeena, la cruelle reine des Yagas !
Avec ce vingt-cinquième REH chez NéO, c'est le retour en force de l'heroic fantasy dans cet étonnant roman qui plonge le lecteur dans un monde démentiel de violence et de fureur !
En attendant Le seigneur de Samarcande...
Robert Ervin Howard est né en 1906 à Peaster (Texas) II s'est suicidé en 1936. Quinze ans de création littéraire lui ont suffi pour devenir l'un des maîtres du fantastique et de l'heroic fantasy. A l'exception des Conan (Lattes, puis J'Ai Lu), nous avons publié tout ce qui a été traduit de lui en français et nous continuerons : Le pacte noir, Kull le roi barbare, Solomon Kane, L'homme noir, Bran Mak Morn, Cormac Mac Art, Agnès de Chastillon, El Borak l'Invincible, El Borak le Redoutable, El Borak le Magnifique, El Borak l'Eternel, Wild Bill Clanton, Kirby O'Donnell, Cormac Fitzgeoffrey, Steve Harrison et le Maître des Morts, Steve Harrison et le talon d'argent, Vulmea le pirate noir, Sonya la Rouge, Les habitants des tombes, Le tertre maudit, Le chien de la mort, La main de la déesse noire, La route d'Azraël, vingt-quatre volumes magiques et fous, inoubliables, tous traduits par le meilleur spécialiste de l'œuvre de Howard que nous ayons en France : François Truchaud.