Titre Original : nouvelles
Collection : Fantastique - SF - Aventure n° 179
Date de Parution : Septembre 1986
Traducteur : François Truchaud
Nombre de pages : 160
Couverture : Jean-Michel Nicollet
Sommaire du livre :
- Les Démons de la nuit, Préface de François TRUCHAUD
- Le Petit peuple (The Little People), traduit par François TRUCHAUD
- La Cabane hantée (The haunted hut), traduit par François TRUCHAUD
- Noirs sortilèges (Black-country), traduit par François TRUCHAUD
- Les Doigts de la mort (The Touch of Death), traduit par François TRUCHAUD
- Les Démons du Lac Noir (The devils of Dark Lake), traduit par François TRUCHAUD
- Le Vol des aigles (The way of the swords), traduit par François TRUCHAUD
- Le Seigneur de Samarcande (Lord of Samarcand), traduit par François TRUCHAUD
Préface du livre :
Les démons de la nuit
« Il y avait en lui tant de démons qu’il voulait chasser… mais ses épouvantails n’étaient pas toujours efficaces : les démons refusaient de fuir » écrivait Nicholas Ray à propos de James Dean. Cette phrase pourrait s’appliquer également aux personnages de Howard et à Howard lui-même, bien sûr, « rebelle existentiel » par excellence. Les démons sont intérieurs, la peur est tapie dans le cœur de chacun de ses personnages, et tout consiste à exorciser ces démons et à chasser cette peur, le temps d’une vie, le temps d’une œuvre. La nuit est omniprésente dans l’œuvre du Texan, qu’il s’agisse des ténèbres du Fantastique ou de la nuit de l’Histoire, comme le prouve le présent ouvrage. Le personnage howardien, sans cesse en lutte, affronte ses propres démons – un combat qui dure une nuit ou toute une vie – et la victoire est souvent amère, tandis qu’apparaît une aube blafarde. « Les premières lueurs de l’aube grisâtre filtraient par les fenêtres, et je les contemplai avec hébétude, tel un homme au sortir d’un cauchemar »…
Sur les sept nouvelles composant ce volume – cinq histoires fantastiques et deux aventures orientales –, deux seulement furent publiées du vivant de « Two-Gun Bob » et les cinq autres le furent dans les années 70, dans des fanzines américains, semi-professionnels, à l’exception du Vol des Aigles, comme nous le verrons.
A l’occasion de ce 26e REH chez NéO, je tiens à rassurer le lecteur : il y a encore de nombreuses heures de lecture devant lui et bien des découvertes à faire ! A partir de novembre, il pourra lire les aventures de Steve Costigan (trois volumes), puis celles de Dennis Dorgan. Ensuite trois recueils de nouvelles (fantastique, aventure, heroic fantasy) lui seront proposés. Suivront deux recueils d’histoire de boxe et bien d’autres surprises ! Si les Dieux Noirs continuent de veiller sur nous, nous devrions dépasser allègrement les quarante volumes (sans compter les recueils de poèmes à paraître dans la collection « Arkham ») au rythme habituel d’un volume tous les deux mois, et le planning REH chez NéO est déjà établi jusqu’en 1989 ! De quoi sustenter l’admirateur fanatique de l’œuvre immense et géniale de Robert E. Howard !
Le petit peuple (paru en janvier 1970 dans Coven 13) est un petit chef-d’œuvre qui frappe par sa concision et son atmosphère onirique… en sept pages et demie ! Dans ce récit à la première personne, Howard s’invente à nouveau une sœur : il s’agit en fait d’un dédoublement, mais, d’une manière significative, les rapports sont inversés, ou plutôt la psyché. C’est le garçon qui aime les contes de fées, et la fille qui les traite de balivernes, alors que ce devrait être l’inverse, en toute logique. Et nous assistons à un véritable débat intérieur, tandis que Howard confronte les deux aspects de sa personnalité, le côté féminin et le côté masculin, débat sous-jacent à toute son œuvre. Par le biais d’une courte histoire, au prétexte fantastique, Howard se livre à nous, dévoilant un pan de sa personnalité. Notons l’hommage à Arthur Machen, et le reste de l’histoire coule de source, en soulignant néanmoins l’absence étonnante des parents – un détail invraisemblable mais révélateur.
La cabane hantée (paru en 1969 dans WeirdBook N°2) pourrait bien être l’une des histoires racontées au jeune Howard par sa cuisinière noire ou sa grand-mère (voir la préface aux Habitants des tombes). Cinq pages et demie suffisent à Howard pour créer toute une ambiance de suspense et d’horreur… une cabane hantée, des marais aux eaux stagnantes, et un vampire que Jacques Finné peut ajouter à sa collection ! Une fois de plus, Howard s’est inspiré apparemment de Kelly « the Conjure-Man », auquel il a consacré un article/nouvelle que nous publierons dans un proche avenir. Les phrases sont courtes, le ton d’une sécheresse remarquable, avec des mots « chargés », et la montée de l’épouvante inexorable. Soulignons simplement l’humour macabre de la dernière phrase…
Noirs sortilèges (paru en 1973 dans WeirdBook N°6) nous présente une Afrique cauchemardesque, comme la voit ou la rêve Howard : « cette contrée répugnante et horrifiante de marécages, de fleuves aux eaux noires, de maladies immondes et de tribus mystérieuses et féroces » ! Cette histoire se signale principalement par sa violence et son évocation de massacres et de mutilations, et par son thème fantastique : la fin nous fait irrésistiblement penser à la nouvelle d’August Derleth, Dîner de têtes (in L’amulette tibétaine) et il est étonnant que cette nouvelle n’ait pas paru dans Weird Tales ! Notons une fois de plus le fantasme chez à Howard : le narrateur retourne en Irlande, la patrie idéale de REH ! Un récit savamment mené, où la tension monte insidieusement et implacablement jusqu’à la révélation finale.
Les doigts de la mort (paru en février 1930 dans Weird Tales) n’a jamais été réédité, à ma connaissance, en Amérique depuis sa première publication dans « The Unique Magazine ». Le lecteur français appréciera ! Dans ce petit chef-d’œuvre, très proche de l’ambiance de certaines nouvelles d’Ambrose Bierce, Howard se livre à une interrogation sur la Mort et la Peur, et nous montre le travail de l’esprit qui crée ses propres peurs. Un texte remarquable et terrifiant par son épouvante « intériorisée », qui prouve tout le talent de REH à mener un récit jusqu’à son terme effroyable, en un suspense à tétaniser le lecteur.
Les démons du Lac Noir (paru en décembre 1973 dans WT50, une publication semi-professionnelle, éditée par Robert Weinberg à l’occasion du cinquantième anniversaire de la revue Weird Tales) nous replongent dans l’atmosphère délirante et sanglante d’histoires comme La Lune de Zambabwei et Les adorateurs d’Ahriman (in Les habitants des tombes) et Des griffes dans la nuit et Le chien de la mort (in Le Chien de la mort). Mais Howard n’a jamais été aussi loin, et le lecteur sera stupéfait par les morts violentes (une femme empalée sur un pieu, des têtes tranchées, etc.), les tortures, les mutilations, le sadisme sous-jacent à cette nouvelle : REH précurseur du « Gore » ? Dans cette histoire frénétique – « les faits incroyables s’accumulaient », comme le dit le narrateur, Steve Gorman, un prénom et un nom fétiche ! –, Howard ne recule devant rien : prêtres du Vaudou, homme-bête de Mongolie, bourreau de Chine, cannibale du Congo, supplices chinois, et j’en passe ! Howard a recours à tous les expédients de la « weird menace » et en rajoute à plaisir, insistant sur les flagellations, les tortures (les serpents, la crucifixion, l’araignée d’Afrique, le supplice du rat – repris des Griffes dans la nuit, mais appliqué à une femme), la folie de Rackston Bane (idée sublime de l’Américain devenu un Asiatique dans sa frustration sexuelle et son désir de vengeance) et le carnage final : Steve Gorman fait irruption dans la maison, armé d’une hache, et massacre tout le monde !
Le vol des aigles (paru en 1979 in The Road of Azraël, Donald Grant éditeur) a une longue histoire : le titre original de cette histoire était The Road of Eagles, nouvelle annoncée dans le numéro de janvier 1934 de The Magic Carpet Magazine (où figurait Sonya la Rouge/The Shadow of the Vulture et une aventure de Dennis Dorgan). Mais ce fut le dernier numéro de cette revue qui cessa de paraître. Aussi la nouvelle resta dans les limbes, jusque dans les années 50 où Sprague de Camp la récrivit et la « détourna » pour en faire une aventure de Conan ! Il s’agit de La route des aigles, figurant dans Conan le Flibustier. Et ce n’est qu’en 1979 que l’histoire originelle de Howard parut enfin, sous le titre anglais The Way of the Swords (en effet, il y avait déjà le mot Route/Road dans la nouvelle donnant son titre au recueil : La route d’Azraël/The Road of Azrael). Comme pour trois autres nouvelles pareillement « détournées » pour devenir des aventures du Cimmérien (que nous avons déjà précédemment publiées), Sprague de Camp changea les noms des personnages, de villes, de pays, et ajouté un élément fantastique (les brykulas ou goules apparaissant à la fin). A présent, le lecteur est en mesure de lire l’histoire originale et de faire la différence, le génie de REH ! Nous sommes en 1595, sur les rives de la Mer Noire, et les Cosaques sont les principaux protagonistes de cette aventure. En fait, le lecteur aura très certainement l’impression de lire deux histoires totalement différentes et de savourer les détails qui font tout le prix d’un récit écrit par Howard. La trame reste la même, mais les personnages ont d’autres motivations, une autre ampleur – ils sont « plus grands que nature »/ bigger than life ! – et la lecture est un véritable plaisir. Notons que la jeune Persane se prénomme Ayesha – hommage à Rider Haggard ? – et que la mort du prince Orkhan est l’une des plus belles scènes – cinématographiques – jamais écrites par « Two-Gun Bob ». Kismet… le Destin, et tout le fatalisme de l’Orient. Et les dernières pages sont un véritable coup de théâtre – une idée sublime – qui nous renvoient, par le biais de Drake et de Grenville, aux aventures de Solomon Kane !
Le Seigneur de Samarcande (paru au printemps 1932 dans Oriental Stories) nous permet de retrouver l’ambiance des nouvelles de Sony a la Rouge [sic] (il constituait la quatrième nouvelle du recueil américain The Sowers of the Thunder) et d’apprécier le souffle épique et la vision prodigieuse de Howard, son génie à restituer un passé fabuleux. Bayazid, Timour-Leng le Boiteux, ou Tamerlan, des figures mythiques, et Donald MacDeesa, le Highlander, animé par sa vengeance de Gaël ! A nouveau c’est le choc de deux civilisations, les rêves d’empire, la conquête et la mort… car la mort est au bout du chemin, et tout n’est que rêves illusoires, aussitôt recouverts par les sables de l’oubli ! Le génie sombre et tourmenté de Howard éclate à chaque page, les idées abondent, plus belles les unes que les autres, et la densité incroyable de ce récit donne l’impression de lire un roman dix fois plus épais ! Donald est l’un des personnages les plus romantiques de Howard : il va jusqu’au bout de sa vengeance et en meurt, perdant sa pureté originelle, tel le Hamlet de Shakespeare ou le Lorenzaccio de Musset. Comme souvent, Howard place des vers au début de chaque chapitre, citant Kipling et Edgar Poe. Notons à nouveau l’évocation somptueuse de deux batailles et le final sublime, splendide apothéose, véritable ode funèbre à la vanité de la vie et des rêves. Timour et Donald vieillissent – chose rare chez les personnages howardiens – et se souviennent de plus en plus de leur jeunesse enfuie, enfermés dans leur solitude. Le siège d’Ordushar est stupéfiant par son aspect crépusculaire : les hommes se battent, souffrent et meurent, enlisés dans le désespoir. Un rare sentiment d’oppression et d’accablement se dégage des dernières pages, une sensation d’inutilité et de dérision. Le nihilisme et la mort, une fois de plus… jamais la philosophie de Howard n’a été aussi sombre. Notons pour terminer le très beau personnage de Zuleika, la splendeur barbare du festin (page 142) et l’anéantissement des rêves de Timour, concrétisé par une longue et dernière phrase. L’une des grandes réussites de Howard !
Mais à présent, voici les démons de la nuit et les sables de l’oubli !
François Truchaud,
Ville-d’Avray,
19 septembre 1986
Dos du livre :
« — Un beau coup d'épée, guerrier !
Au son de cette voix gutturale, le tueur se retourna avec la vivacité d'un grand loup. Les deux hommes s'affrontèrent du regard.
- Je ne suis pas un Turc, déclara Ak Boga. Vois, mon cimeterre repose dans son fourreau. J'ai besoin d'un homme tel que toi... fort comme un ours, rapide comme un loup, cruel comme un faucon !
- Je désire seulement assouvir ma vengeance... en tranchant la tête de Bayazid, gronda Donald MacDeesa.
- Alors viens avec moi, fit le Tatar. Car mon maître est l'ennemi juré du Turc. On l'appelle le Boîteux. Timour, le Serviteur de Dieu, par la grâce d'Allah !
- Je t'accompagne, dit laconiquement le Highlander.«
Pour ce vingt-sixième REH chez NéO, cinq nouvelles fantastiques dont Les démons du lac noir — l'une des histoire les plus sanglantes et délirantes jamais écrites par Howard — et deux aventures orientales au style flamboyant où revit un passé plein de bruit et de fureur !
A nouveau le génie sombre et tourmenté de « Two-Gun Bob » !
En attendant Steve Costigan...
Robert Ervin Howard est né en 1906 à Peaster (Texas). Il s'est suicidé en 1936. Quinze ans de création littéraire lui ont suffi pour devenir l'un des maîtres du fantastique et de l'heroic fantasy. A l'exception des Conan (Lattes, puis J'Ai Lu), nous avons publié tout ce qui a été traduit de lui en français et nous continuerons : Le pacte noir, Kull le roi barbare, Solomon Kane, Le retour de Kane, L'homme noir, Bran Mak Morn, Cormac Mac Art, Agnès de Chastillon, El Borak l'invincible, El Borak le Redoutable, El Borak le Magnifique, El Borak l'Eternel, Wild Bill Clanton, Kirby O'Donnell, Cormac Fitzgeoffrey, Steve Harrison et le Maître des Morts, Steve Harrison et le talon d'argent, Vulmea le pirate noir, Sonya la Rouge, Les habitants des tombes, Le tertre maudit, Le chien de la mort, La main de la déesse noire, La route d'Azraël, Almuric, vingt-cinq volumes magiques et fous, inoubliables, tous traduits par le meilleur spécialiste de l'œuvre de Howard que nous ayons en France : François Truchaud, également traducteur des poèmes fantastiques de Robert E. Howard qui paraîtront, en édition de grand luxe (Série Arkham, n°2), en décembre 1986, sous le titre Chants de guerre et de mort.